La sueur dégouline de mon front et perle sur mon gilet de protection. Je veux l’essuyer, mais j’ai du sang sur les mains. Raimond part fumer une clope. Je me laisse tomber sur une chaise, vide une bouteille d’eau, me relève en grognant et vais me laver, même si je serai de nouveau sale dans dix minutes.
Il faut encore que je complète mon kit de premiers secours, IFAK en anglais pour individual first aid kit : pansement thoracique, garrot, sonde d’intubation, couverture de survie. Le pansement compressif, c’est bon, il m’en reste un. Ensuite, Bernhard vient nous chercher. Retour dans la galerie souterraine.
Raimond et moi nous approchons d’un camion qui fume. Le conducteur est penché en avant, le front sur le tableau de bord. Pascal - c’est ainsi que nous appelons l’instructeur - s’approche de nous en boitant et nous décrit la situation : « Tout à coup, la route a explosé ! Le chauffeur est encore en vie ! » Il a probablement roulé sur une mine. Nous ouvrons la portière du passager, à son rétroviseur est accroché ce que nous pensons être un morceau du corps d’un passant, et tirons l’occupant vers l’extérieur. Agenouillés derrière un pilier, nous commençons la première évaluation : « Exsanguination ! » hurle Raimond. Le victime se vide de son sang. Je passe un garrot à Raimond, il ligature le bras à moitié explosé. « Hot zone, hot zone », crie Pascal. Un sniper a ouvert le feu ; il faut partir d’ici. « Il y a encore un enfant sur la banquette arrière ! » D’abord j’hésite, puis je me précipite vers le véhicule. Des coups de feu résonnent sur les parois rocheuses. J’attrape l’enfant et me dirige vers la zone dite tiède où je peux le soigner. « Exsanguination » je me crie à moi-même. Il n’y a pas de grosse hémorragie visible. « Airway, » je continue. L’enfant respire difficilement. Je le mets en position latérale de sécurité. Ensuite « Breathing », puis « Circulation », « Disability » pour l’état neurologique et enfin « Exposure ». X, A, B, C, D, E. Raimond traite le conducteur selon le même schéma.
À un moment donné, Bernhard nous tape sur l’épaule et met fin à l’exercice. De nouveau, je dégouline de sueur. Raimond a les mains pleines de sang. Notre corps fatigue sous le poids du casque, du gilet pare-balles et du gilet pare-éclats. « Allez, faites une pause. On prépare le prochain scénario », dit Bernhard.
Pas à pas en région de guerre
Les galeries de la carrière de Trübbach sont idéales pour ce cours de premiers secours : dans les couloirs sombres et moisis de l’exploitation souterraine, l’instructeur Bernhard Mautner et son équipe mettent en scène des situations réalistes, telles que les journalistes les rencontrent dans les zones de conflit. Moyennant des mesures de sécurité maximales, ils utilisent des armes à feu, des explosifs et des bombes fumigènes pour mettre les participants en situation de stress extrême. Des alarmes aériennes diffusées par haut-parleurs, des installations d’arrosage et de faibles sources de lumière complètent le décor. En plus des mannequins qu’il faut sortir de situations dangereuses et déplacer vers des zones plus sûres, les instructeurs jouent eux aussi les victimes qu’il faut soigner. Avec le sang de porc pour simuler des blessures graves, la situation de guerre, en plus d’être audible et visible, se teinte d’une odeur qui lui est propre. Dans le feu de l’action, l’illusion est parfaite et oppressante.
Avant l’exercice pratique selon des scénarios réalistes, les participant·es suivent une séquence de formation théorique sur les premiers secours, basée sur les connaissances médicales et des décennies d’expérience militaire. Il arrive ainsi que des explications médicales précises sur le pneumothorax soient suivies de phrases du type : « En cas de sortie de l’intestin, il faut absolument humidifier les viscères ! »
Les premières plaies sont colmatées sur des mannequins en silicone avec de simples gazes, avant de passer à du sang véritable et des pansements hémostatiques. « Si vous avez un trou, vous le bouchez ! » explique Bernhard. C’est ainsi que l’on se rapproche à tâtons des conditions de guerre telles qu’elles prévalent actuellement en Ukraine.
« Vous n’avez pas à jouer les médecins ! »
Ce cours est le fruit des expériences de Raimond Lüppken en Ukraine et de ses nombreux entretiens avec des militaires, des médecins et des soignant·es : « L’une des premières questions qui m’a été posée à chaque fois était de savoir si j’étais capable de me soigner moi-même ». Lors de ses deux derniers séjours en zone de guerre, il a dû à chaque fois admettre que ce n’était pas le cas. A son retour en Suisse, il a donc décidé de mieux se préparer pour sa prochaine mission. C’est ainsi qu’il est tombé sur l’offre de cours de secourisme de Bernhard Mautner, une offre très large mais qui ne proposait rien de spécifique pour les reporters de guerre. Il a suffi d’un coup de fil pour convaincre l’instructeur. En quelques semaines, Bernhard a conçu avec ses collègues un programme sur mesure.
Pendant le cours de premiers secours pour les reporters de guerre, Bernhard ne cesse d’insister : « Votre mission en zone de guerre est de faire des reportages. Vous n’avez pas à jouer au médecin. L’IFAK est avant tout destiné à vous-mêmes ». Raimond est toutefois rassuré par l’idée d’être mieux préparé à une situation d’urgence et de pouvoir aider son collègue. Dans l’idéal, ni lui ni moi n’aurons jamais à mettre en pratique ce que nous avons appris.
Après deux journées éprouvantes mais passionnantes, nous quittons la zone de guerre fictive de Trübbach avec un certificat de TCCC (Tactical Combat Casualty Care) et de TEMS (Tactical Emergency Medical Support) valable deux ans.
Premiers secours tactiques pour reporters en zone de guerre
Durée de la formation : 2 journées de 8 heures
Coût : CHF 740,- (CHF 540.- pour les membres du SSM)
Informations complémentaires : www.nothelferkurs.li/taktische-nothilfe-krisenreporter-innen
Texte : Dario Veréb et Raimond Lüppken
Photos :
Dario Veréb et ©KEYSTONE/Ennio Leanza