Communiqué de presse sur la modification du code de procédure civile, article 266 « Mesures contre les médias »
Le 3 mai a été proclamé Journée mondiale de la liberté de la presse par
l'Assemblée générale des Nations Unies. Qu’il s’agisse du débat sur la loi sur
les banques ou de la propagande russe autour de la guerre en Ukraine, l’actualité illustre de manière éclatante l'importance d'un paysage médiatique libre.
Le Conseil des Etats ainsi que les commissions juridiques des deux Chambres (CAJN et CAJ-E) proposent en effet d’élargir massivement l’accès aux mesures provisionnelles permettant de s’opposer à la publication ou la diffusion de productions journalistiques.
Alors que la loi actuelle ne permet de s’opposer à la publication d’un article ou à la diffusion d’une émission uniquement si celle-ci est de nature à causer un «préjudice particulièrement grave», le Conseil des Etats et votre Commission envisagent d’accorder déjà de telles mesures en présence d’un «préjudice grave». La suppression de l’adverbe particulièrement aurait un impact considérable sur la pratique des tribunaux et entraînerait des conséquences négatives très sérieuses sur la liberté des médias garantie par la Constitution fédérale. A noter que le Conseil fédéral se prononce contre une telle modification, de même qu’une minorité de la Commission du National.
L'Alliance a écrit au Conseil national pour lui recommander de suivre la minorité de sa Commission, et donc le Conseil fédéral, en ce qui concerne l'article 266.
Pourquoi restreindre la liberté des médias alors que la législation actuelle a fait ses preuves ?
Aujourd'hui, tout un chacun peut déjà saisir le juge pour s’opposer à la publication d'un contenu rédactionnel s’il est directement concerné par celui-ci. Pour que les tribunaux prononcent des mesures provisionnelles, il faut faire valoir un préjudice qualifié. La formulation en vigueur actuellement a délibérément été retenue par le législateur pour protéger le travail journalistique contre toute interférence excessive et disproportionnée.
Avec le nouvel amendement, le seuil permettant d’obtenir le prononcé de mesures
provisionnelles de la part du juge serait considérablement abaissé. Dans la pratique, cet amendement condamnerait de manière précipitée des recherches journalistiques critiques, voire impopulaires, et frapperait tous les journalistes du pays. Cette menace pour la liberté des médias est hautement problématique et entraînerait de graves incidences sur la liberté d'opinion et d'expression, une pierre angulaire de la démocratie suisse reconnue également par la Convention européenne des droits de l'homme à son article 10.
Cet amendement – qui n’a été examiné ni par l’administration fédérale, ni par des experts – rompt un équilibre qui avait été soigneusement élaboré jadis par deux groupes d'experts successifs. Or n'y a aucune raison d'exiger une telle restriction à la liberté des médias au vu de la situation actuelle en Suisse : les bases légales existantes fixent déjà des limites claires au travail des médias, les personnes physiques et morales sont protégées et peuvent se défendre contre d’éventuelles atteintes. Le secteur des médias dispose en outre de mécanismes d'autorégulation efficaces – comme le Conseil suisse de la presse ou la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes – et les journalistes pèsent soigneusement les intérêts en jeu (droit du public à l'information, protection de la sphère privée) dans leur travail quotidien.
De coûteuses procédures judiciaires en perspective
L’amendement du Conseil des Etats entraînerait une augmentation massive des procédures judiciaires, notamment à l’encontre de titres de presse locaux et régionaux. Celles-ci sont souvent coûteuses et nécessitent beaucoup de ressources.
Pour les petits titres de presse en particulier, ces procédures représentent souvent un écueil insurmontable. Même si les journalistes obtiennent très souvent gain de cause devant les tribunaux, de telles procédures s’avèrent épuisantes et décourageantes pour les rédactions. A cela s’ajoute que même si un juge autorise en fin de compte la publication du travail journalistique bloqué pendant des mois, ce dernier n’est souvent plus actuel, ni pertinent après l’écoulement d’un tel laps de temps.
L’amendement du Conseil des Etats multiplierait les cas de ce type à l’avenir et
fragiliserait de manière conséquente le travail journalistique sérieux qui répond à un intérêt public évident.
Soutenir la version du Conseil fédéral
Le journalisme d'investigation libre, avec sa fonction de «chien de garde», est
indispensable à toute démocratie, et cela est particulièrement vrai dans une
démocratie directe comme la nôtre. L'Alliance demande au Conseil national de ne pas imposer d'obstacles inutiles aux professionnels des médias en Suisse dans leur travail essentiel pour la démocratie.
L’Alliance souscrit en revanche à un autre amendement proposé par le Conseil fédéral à ce même article et qui permet de ne pas tenir compte d’une atteinte imminente uniquement, mais également d’une atteinte existante susceptible de causer un préjudice particulièrement grave à un tiers. Cette modification permettrait d’inscrire dans la loi une pratique judiciaire qui existe depuis de nombreuses années maintenant.
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